ALAIN DE VULPIAN, UNE PERSONNE APPRENANTE #1

INTERVIEW ET TEXTE DE ETIENNE COLLIGNON, 10 septembre 2014

 

Nous rencontrons Alain de Vulpian, sociologue, fondateur de Cofremca, Sociovision auteur de nombreuses publications dont « A l’écoute des gens ordinaires. Comment ils transforment le monde » (Editions Dunod, 2003)[1]. Dans un entretien avec Etienne Collignon, il partage sa vision de l’apprenance et nous parle de lui-même comme personne apprenante.

 

Alain, qu’est-ce que l’apprenance ?

La vie est apprenance. S’il n’y a plus d’ajustements, les décalages se creusent et la vie s’arrête.

D’après Varela l’organisme vivant (de la petite cellule au plus complexe) est autopoïétique, c’est-à dire qu’il se construit lui-même en réagissant à sa façon à son environnement.

Le cerveau humain est d’une extraordinaire plasticité ; le cerveau est d’une complexité telle qu’il ne peut pas être programmé. A la naissance il n’est pas achevé ; il est au tiers de son volume et de sa complexité. L’homme naît non achevé. C’est une bonne nouvelle ! Il apprend en réagissant à son environnement. Il apprend énormément au cours des premières années de sa vie (il se forme et se transforme) et il continue à apprendre tout au long de son existence.

Il y a une distinction que j’ai envie de faire : la vie nous apprend et nous fait grandir, mais nous conditionne en même temps. Elle nous éduque. Elle nous domestique.

Il y a l’apprenance qui ferme et l’apprenance qui ouvre. Pendant 100 000 ans, les chasseurs cueilleurs vivaient en petits groupes, avec peu de hiérarchie ; ils pratiquaient une fabuleuse apprenance très enrichissante ; puis des despotes sont arrivés et nous sommes entrés dans une ère d’apprenance conditionnante. Ainsi se sont développées les civilisations, avec leurs villes, hiérarchies, stockages, guerres. La civilisation occidentale est encore dans ce modèle.

Nous sommes probablement en train d’entrer dans une apprenance nouvelle où les humains peuvent de plus en plus développer au mieux leurs potentiels. C’est une évolution amorcée depuis un siècle qui avance rapidement en ce moment. Cette apprenance déconditionnée arrive par le bas. Elle va modifier l’éducation organisée et la remettre en question ; c’est très positif ; l’homme devient conscient de ses conditionnements.

 

Quelle est l’importance du cerveau dans cette évolu-tion ?

Les neurosciences nous rappellent qu’on n’utilise qu’une partie du potentiel de notre cerveau, 10 % environ disent certains (mais on ne sait pas). (Voir le film Lucy).

Le potentiel rationnel du cerveau a été énormément développé après Descartes ; quant au potentiel spirituel, nous sommes en train de l’ouvrir de plus en plus.

Le sociologue allemand Norbert Elias a montré comment on est passé d’une féodalité médiévale à une rationalité affichée. Le rationnel a été extrêmement privilégié. L’émotionnel, l’affectif ont été déclassés.

Aucune population humaine n’a développé à la fois le rationnel, le spirituel et l’émotionnel autant que nous depuis un siècle.

Mes équipes ont montré que les nouvelles cohortes avaient formé des personnalités très différentes ; ce n’était plus interdit d’être émotionnel, affectif, sensoriel, spirituel.

David Riesman a décrit la transformation des personnalités chez les jeunes et chez les parents, ce qui a débouché sur la révolution des jeunes en 1965 et 1968.

En parallèle il y a eu une reprise de l’importance du cerveau spirituel. Je ne sais pas bien dire ce que c’est. Matthieu Ricard a montré les liens entre cerveau et méditation. Il y a des activités du cerveau qui s’apparentent à une dimension spirituelle ; c’est le chamanisme, le spiritisme, le christianisme ; on le trouve dans toutes les espèces humaines.

La vie a d’extraordinaires capacités de survie et de complexification. Voir les travaux de Maturana et Varela. Les hommes ont un cerveau très malléable. C’est la seule espèce qui a réussi à s’adapter à une variété de conditions de climat et a su faire évoluer son cerveau pour tirer parti d’une très large variété d’environnements. En même temps l’espèce humaine est toujours très vulnérable. Elle est en danger. L’industrialisation détruit notre biotope.

 

Comment se situent les acteurs dans ces changements ?

Parlons de ces changements proches de nous, car les problèmes et évolutions en Inde et en Chine sont différents.

Ici, de plus en plus de personnes recherchent l’autonomie, la capacité à décider par elles-mêmes. Il y a ainsi beaucoup de vitalité et d’appétit chez les jeunes.

Dans notre société, une partie des grandes entreprises ont du mal à abandonner la hiérarchie et les procédures. Notre système politique est englué ; la vie politique est coupée de la société réelle. Une autre société s’installe en catimini (think tanks par exemple, une foule de ce que j’appelle les nouveaux animaux).

Pour les écologistes idéologues, il faut arrêter l’industrie mécanique. Mais une industrie informatique et biologique est en train de se développer qui est vivable à long terme. Il faut réussir le passage de l’une à l’autre.

La clé du développement, c’est l’autonomie, la liberté de la personne. Celle-ci a développé la perception de ses sensations et de ses émotions. En 1950, elle avait du mal à exprimer ses émotions ; depuis elle a su entrer au contact de ses émotions. Elle perçoit son cheminement mental et ainsi se libère. Simultanément, elle devient plus intuitive, plus socio-perceptive, plus empathique. Les hommes du XVIIIe siècle avaient moins d’empathie que nous. Aujourd’hui nous sentons que le vivant est système et nous avons l’intuition des systèmes dans lesquels nous sommes entraînés. Nous devenons une personne au fur et à mesure que nous interagissons. Vous et moi nous grandissons ensemble.

Il se développe une intelligence collective ou une émotion collective. Elle nous sert à exister en collectivité et anticiper.

Les neurosciences nous apportent des informations très importantes. Ainsi, la découverte des neurones miroirs : il y a des types de connexion entre les hommes qui ne sont pas verbales, qui ne sont pas intellectuelles. Il existe du rationnel, émotionnel et spirituel collectif. Les « Near Death Expérience » sont solidement établies.

Alain Berthoz montre par son concept de Simplexité comment les humains en général se sont adaptés à la complexité du monde.

Il y a des relations systémiques dans le cerveau entre les émotions, les actions, les réflexions, le vécu. Tu te transformes, cela transforme tes actions et ton vécu.

 

As-tu une pratique d’observation de toi-même comme personne apprenante ?

Oui et non. Il faut distinguer l’observation volontaire et l’observation inconsciente. Ou l’observation inconsciente et l’observation intellectualisée.

Il y a trois niveaux : l’observation du fait, vivante ; l’observation intellectualisée ; et l’observation volontaire. Je pratique les trois niveaux.

Dans ma vie personnelle et mon développement personnel, il y a eu un moment très important vers 1952 / 1953 : la découverte de Carl Rogers et la pratique de l’empathie rogérienne.

Il y a des personnes obsédées par l’observation d’elles-mêmes. J’ai toujours pensé qu’il fallait m’en protéger.

Comment ? Il faut écouter ses propres profondeurs. Être branché sur ses émotions. Se sentir connecté au Grand Tout. Et laisser venir les directions qui nous conviennent. Il faut trouver les contextes dans lesquels l’intuition vitale est éveillée et savoir l’écouter.

J’aime vivre le meilleur de moi-même dans des groupes et des contextes qui m’inspirent. J’aime me sentir connecté ainsi au Grand Tout, où notre cœur peut parler et laisser venir la vie.

Il y a deux sociétés étrangères l’une à l’autre, la société officielle et la société vivante. Nous entrons de plus en plus dans une société où l’on nous invite à respirer. L’éducation sera davantage centrée sur le développement des potentiels de chacun. C’est la civilisation du développement du potentiel. Aujourd’hui elle jaillit « Bottom-up ».

 

[1] En 2016, il publie Eloge de la métamorphose. En marche vers une nouvelle humanité, Préfacé par Alain Berthoz, Professeur honoraire au Collège de France. Prix de l’essai de l’Académie française 2016. Ed Saint-Simon.
En 2018, avec Irène Dupoux-Couturier, Homo sapiens à l’heure de l’intelligence artificielle : La métamorphose humaniste. Préface de Peter Senge. Ed Eyrolles.

 

POURQUOI CERTAINES ENTREPRISES VONT SURVIVRE À CETTE CRISE ET D’AUTRES VONT MOURIR ?

IL N’EST PAS ACQUIS QUE TOUTES LES ENTREPRISES LES PLUS ANCIENNES OU LES PLUS GRANDES SURVIVRONT À CETTE CRISE – L’ADAPTABILITÉ EST ESSENTIELLE
Andrew Hill – andrew.hill@ft.com
FINANCIAL TIMES
11 MAI 2020

Le premier document écrit sur une exploitation de Stora, une mine de cuivre suédoise, remonte à 1288. Depuis lors, l’entreprise – aujourd’hui le groupe finlandais Stora Enso, spécialisé dans le papier, la pâte à papier et les biomatériaux – a subi, au fil des tentatives pour mettre fin à son indépendance, les bouleversements de la Réforme et de la révolution industrielle, des guerres, régionales et mondiales, et maintenant une pandémie.

“Il aurait été catastrophique pour Stora de se concentrer sur ses activités de manière introvertie, sans tenir compte de la politique. Au lieu de cela, l’entreprise a remanié ses objectifs et ses méthodes pour répondre aux exigences du monde extérieur”, écrit Arie de Geus, décrivant une époque particulièrement turbulente du XVe siècle dans son livre de 1997, The Living Company, élaboré à partir d’une étude des plus anciennes entreprises du monde qu’il a menée pour Royal Dutch Shell.

C’est une sagesse que les entreprises d’aujourd’hui, qui se demandent comment survivre, sans parler de prospérer, pourraient utiliser. Hélas, de Geus lui-même n’est pas là pour les aider : il est mort en novembre de l’année dernière.

Une partie de son travail se poursuit grâce aux exercices de planification de scénarios que j’ai identifiés la semaine dernière comme un moyen de progresser dans l’incertitude qui nous attend. Ce penseur multilingue était le directeur de la planification des scénarios de Shell, où il a développé la distinction entre les futurs potentiels (en français, “les futurs”) et ce qui était inévitablement à venir (“l’avenir”).

Il a également vécu les conséquences de la Seconde Guerre mondiale, qui a détruit Rotterdam, sa ville natale, et l’a encouragé, lui et ses amis, à chercher du travail dans les abris des grandes entreprises, telles que Shell, Unilever et Philips.

Il n’est pas acquis que toutes les entreprises les plus anciennes ou les plus grandes survivront à cette crise. Celles qui le feront, cependant, devraient prendre exemple sur le livre de de Geus.

Göran Carstedt, collaborateur et ami de longue date, ancien dirigeant de Volvo et d’Ikea, dit avoir discuté avec de Geus l’année dernière de la manière dont les expériences de mort imminente renforcent l’appréciation d’être en vie. “Il y a des choses que nous considérions comme allant de soi. On commence à voir le monde à travers la lentille des vivants”, m’a-t-il dit. Arie aimait dire : “Les gens changent et quand ils le font, ils changent la société dans laquelle ils vivent”. Cela valait pour les entreprises autant que pour les sociétés. Des groupes de longue date comme Stora devaient leur survie à leur adaptabilité en tant que communautés humaines et à leur tolérance pour les idées, tout autant qu’à leur prudence financière.

Ce sont là de grandes idées auxquelles les chefs d’entreprise doivent réfléchir à un moment où la plupart d’entre eux tentent désespérément de garder la tête hors de l’eau ou, au mieux, se concentrent sur les aspects pratiques de la manière de redémarrer après un verrouillage. Dans sa dernière mise à jour du mois dernier, la directrice générale de Stora Enso semblait aussi préoccupée par les questions pressantes de licenciements temporaires, d’interdictions de voyager et de réduction des dépenses d’investissement que ses pairs des entreprises ayant un pedigree plus court.

Certains groupes qui répondent aux critères de longévité communs à M. de Geus risquent encore de faire faillite, simplement parce qu’ils se trouvent exposés au mauvais secteur au mauvais moment.

D’autres, en revanche, trouveront qu’ils sont mal équipés pour l’après-guerre. Les entreprises qu’il a qualifiées d'”intolérantes”, qui “visent un maximum de résultats avec un minimum de ressources”, peuvent vivre longtemps dans des conditions stables. “De telles perturbations profondes ne feront que révéler les schismes sous-jacents qui existaient déjà”, m’a déclaré par courriel le vétéran de la gestion Peter Senge, qui a travaillé avec de Geus. “Ceux qui étaient sur la voie d’un changement profond trouveront des moyens d’utiliser les forces en jeu aujourd’hui pour continuer, et même se développer. Ceux qui ne l’étaient pas, ne le feront pas”. Pour lui, la question centrale est de savoir si ceux qui interprètent la pandémie comme un signal que les humains doivent changer leur mode de vie vont se développer pour former une masse critique.

Pendant des décennies après la guerre, les grandes entreprises n’ont pas changé leur mode de fonctionnement. Elles ont profité des jeunes qui pensaient que la sécurité matérielle “valait le prix à payer pour se soumettre à un leadership central fort confié à relativement peu de personnes”, a écrit de Geus. Face à cette crise, cependant, de Geus aurait placé sa confiance dans les entreprises qui avaient développé un engagement envers l’apprentissage organisationnel et le partage des décisions, selon une autre proche collaboratrice, Irène Dupoux-Couturier.

La pression de cette crise aplatit déjà les hiérarchies décisionnelles. La sortie de la pandémie sera fondée sur une technologie qui renforce la communauté humaine en encourageant une collaboration rapide entre les entreprises.

De Geus était catégorique : une véritable “entreprise vivante” devait se défaire de ses actifs et changer d’activité avant de sacrifier son personnel, si sa survie était en jeu. Cet optimisme sera certainement mis à l’épreuve dans les mois à venir, mais il vaut la peine de s’y accrocher.

“Qui sait si les caractéristiques des entreprises à longue durée de vie d’Arie … renforcent la résilience dans des situations comme celle-ci ?” M. Senge me l’a dit. “Mais il est difficile de les voir l’amoindrir.”

LA MÉTAMORPHOSE SE POURSUIT DE L’INTÉRIEUR

La santé par l’écosystème

Il est désormais intégré depuis plusieurs décennies que la santé dépend non seulement de son mode de vie mais aussi de son environnement. Cette compréhension systémique est à la base des mouvements de fond de la société vers un monde plus écologiques et plus accueillant pour l’homme. On a de plus en plus conscience qu’il n’y a pas d’un côté la santé humaine, de l’autre la santé de la nature (végétaux, faune), mais qu’il n’y a qu’une seule santé « humaine – végétale – animale ». Cela fait quelques dizaines d’années que la Métamorphose a défriché le chemin d’une évolution du rapport de l’homme à la nature, à l’espèce et à la planète. Cela a représenté un saut de complexité considérable dans l’appréhension de l’identité humaine et de son rapport au monde. Un état de conscience d’un haut niveau d’élaboration. Un nouveau saut serait en passe de s’établir avec la compréhension de l’importance des zoonoses, c’est-à-dire du fait que l’essentiel des maladies se transmettraient entre les espèces animales, végétales et humaines. Ces maladies transmises réciproquement représenteraient de l’ordre de 70 % des maladies humaines.

Quand l’appartenance au genre devient hybride

Il devient régulier de croiser dans la rue une personne dont on ne sait plus vraiment dire si elle est une femme ou un homme. Ce n’est pas une question de longueur des cheveux. C’est une question de vêtements qui ne sont ni masculins ni féminins. Ils sont androgynes, c’est-à-dire qu’ils mélangent les codes féminins et masculins.

Cela fait 3 décennies que des artistes comme David Bowie ou Mylène Farmer nous ont habitué à flirter avec les physiques androgynes. Jusqu’à présent ce phénomène était resté confidentiel. Voici que depuis 2-3 ans cela devient sans doute plus qu’un phénomène de mode, un mode de vie. Les sites Internet vestimentaires faisant la promotion du look androgyne se multiplient. Par exemple, sur le site « Tendances de mode » il y a toute une rebrique sur le « style androgyne » avec des recommandations sur les vêtements, les chaussures, selon différents registres BCBG, pour adolescents… Autre site qui surfe sur la vague « MonShowroom.com » (récemment racheté par Sarenza) qui ne proposait pas moins que 6 façons d’être habillé tendance masculin/féminin. Contrairement aux apparences il ne s’agit pas d’hommes qui veulent ressembler à des femmes, ou réciproquement mais de d’hommes ou de femmes qui veulent vivre, en partie, selon les deux registres. La chanteuse « Chris and the Reine » ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare qu’en matière sexuelle elle s’intéresse d’abord aux personnes avant de s’intéresser au genre.

Quand le contact père-enfant passe par la peau

Les pères cajolent de plus en plus leurs bébés et ressentent le besoin d’un échange plus riche, plus sensoriel que les simples échanges par le regard et par la parole.

L’un d’entre eux dira : « J’ai l’impression que nos rapports sont plus profonds, plus authentiques ». Cette pratique est due aux conseils des pédiatres et des sages-femmes qui incitent les pères à concevoir de façon nouvelle leurs relations avec l’enfant. Ce contact charnel ouvre la perspective de modalités enrichies de la relation à l’autre, relation qui fait appel à tous les sens (l’odeur, l’ouïe, le toucher, le goût) et bien évidemment la vue… On sait les bébés particulièrement réceptifs au toucher, l’attitude de ces nouveaux pères ne peut qu’être encouragée.

 

 

La métamorphose appelle de nouvelles régulations

La multiplication des modes alternatifs de déplacement et le partage de l’espace public

De Los Angeles à Paris, ou Berlin, en passant par Londres ou New York partout l’arrivée massive et combinée de nouveaux modes de déplacements perturbe les fragiles équilibres qui avaient fini par s’installer. En compétition avec la voiture, la moto et les transports en commun, il y a maintenant la marche à pieds à laquelle s’adonnent de plus en plus de gens, la bicyclette, les trottinettes, les skates, les rollers auxquels s’ajoutent des micro véhicules électriques : les hoverboards, les Segway, les WalkCar, les rollers, les monocycles… De quoi alimenter la montée des tensions que l’on peut observer dans les grandes villes où l’on n’a pas appris à vivre et à réguler la profusion des moyens de locomotion.

Tout cela n’est pas sans susciter chez certains l’envie de mettre un peu d’ordre. Sans parler des municipalités complétement débordées par le phénomène qu’elles n’imaginent pas bloquer, les scènes de rue se multiplient où les cyclistes se disputent avec des piétons qui eux-mêmes fustigent ceux qui sont en trottinette… Bref, il y a de la tension dans l’air.

En observant cela de plus près, que voit-on ? Ce passant qui rappelle à ce Patineur que les trottoirs sont pour les piétons, ce Patineur qui répond que la route est pour les véhicules motorisés, ce qui n’est pas son cas. Cet automobiliste qui invite cette personne en trottinette électrique à rejoindre la piste cyclable pendant que le cycliste rappelle qu’elle est faite pour les vélos. Ce qui se cherche derrière ces tensions, somme toute faibles, ce sont les règles de partage de l’espace public et les règles du vivre ensemble. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions mais ce qu’un veilleur a pu observer dans une rue de Paris où tous ces moyens de transports sont très employés c’est que petit à petit l’espace public s’est divisé et les comportements civilisés. Les piétons sont sur les trottoirs à l’opposé de la route, les véhicules non motorisés plutôt sur le trottoir mais à raz de la voie de circulation, les petits véhicules électriques motorisés plutôt sur la route à ras du trottoir et les voitures et motos se fraient tant bien que mal un chemin. Les contrevenants à ses usages se font rapidement rappelés à l’ordre.

 

Google s’auto régule-t-il en redéfinissant les principes de ses développements en matière d’intelligence artificielle ?

Certains le pensent. Selon différentes sources, entre 3 000 à 4 000 employés de Google ont signé une lettre ouverte à l’attention de Sundar Pichai, le PDG de l’entreprise : « Nous estimons que Google ne devrait pas être impliqué dans le business de la guerre ». Cette pétition faisait suite au refus par 9 ingénieurs de travailler sur des projets militaires, et à des démissions internes.

Google cherchait à clarifier ses positions en matière d’éthique appliquée aux usages de l’intelligence artificielle. Engagée dans un travail de réflexion sur le sujet qui avait du mal à déboucher avec d’autres entreprises et des ONG, Google a préféré prendre les devants. Il faut dire que l’actualité du développement des applications à base d’intelligence artificielle devenait brûlante. Les choses se sont accélérées lorsque Google a ainsi décidé de se retirer du projet Maven du Pentagone qui consiste à utiliser l’intelligence artificielle pour analyser les images filmées par ses drones. On voit clairement derrière pointer le spectre des robots tueurs.

Les débats n’ont pas seulement porter sur les règles d’éthiques mais aussi sur les façons de faire : comment mettre en pratique ? Comment en parler en interne ? Est-ce que la gouvernance interne est suffisante ? Ne faut-il pas faire appel à des tiers ? Comment prendre en compte les différents points de vue ?

L’enjeu est maintenant d’ouvrir le débat à l’extérieur sur la base d’une proposition éthique interne qui pourrait évoluer en fonction de la consultation des partenaires extérieurs. La métamorphose touchera-t-elle la position des GAFA ? En matière d’équilibre économique et social mondial et en matière de responsabilisation fiscale ?

 

 

 

La société se réinvente tout azimut

La société se métamorphose par les individus et elle se métamorphose également par les changements de ses modes de fonctionnement.

 

Quand les artistes contribuent aux prises de conscience collectives

L’engagement des artistes face aux enjeux de société et de l’environnement est devenu monnaie courante. Signalons une initiative qui pourrait faire date : la préparation d’un « Requiem pour l’humanité » par le compositeur Vangelis. On connait l’importance considérable de la musique pour révéler collectivement des grands cheminements individuels. La musique a joué un rôle déterminant dans l’accélération du processus de métamorphose dans la deuxième partie du XXe siècle. Ce Requiem en préparation par le compositeur Vangelis pourrait avoir un impact considérable à un moment où les prises de conscience sont de plus en plus importantes sur les dérèglements de toutes sortes : économiques, sociaux, climatiques…

 

Un orchestre sans chef : les Dissonances

L’aventure de l’orchestre Les Dissonances a débuté en 2004 à l’occasion d’un concert de Noël donné en faveur des sans-abris au cœur de Paris, dans le quartier Châtelet – Les Halles. C’est dire que l’attention à l’autre et au monde est au cœur du projet.

De retour d’une période de prise de recul dans le désert libyen, David Grimal, jeune soliste international, avait décidé de « retrouver le chemin des autres ». Les Dissonances sont devenues le seul orchestre philharmonique au monde invité à jouer le grand répertoire régulièrement, dans les plus grandes salles de concert, sans la présence sur scène d’un chef d’orchestre. La centaine de musiciens présents, forts de leurs compétences et de leur sensibilité que rien ne vient contraindre n’obéissent qu’à ce que leur dicte leur connaissance de l’œuvre et se laissent conduire par le souci qu’ils ont les uns des autres à travers le rôle assigné à chacun par le compositeur.

David Grimal le dit bien, avec ses mots et sa sensibilité : « C’est une aventure d’amitié, d’amour de la vie, de la musique, des gens ; une société d’hommes et de femmes croyant en leur intelligence collective à l’ère du développement de l’intelligence artificielle. » Cet exemple intéresse particulièrement les entrepreneurs. Retrouver le chemin des autres, dans l’entreprise, c’est permettre l’épanouissement des salariés et apporter des biens et des services utiles à des clients dans le respect des équilibres sociaux et de la santé des territoires, aujourd’hui et demain. Cela ne remet nullement en cause l’existence d’une autorité qui ne devient un problème que lorsqu’elle est abusivement exercée, lorsqu’elle cesse de se soucier des autres. La verticalité d’une relation d’autorité existe donc bel et bien, dans l’orchestre, comme dans l’entreprise, elle s’exerce par le biais d’un leadership assumé mais librement accepté, aucune nécessité n’enchaînant les musiciens à l’orchestre.

 

Les crapauds fous, l’innovation de la rue, Thanh Nghiem et David Li

Les crapauds fous sont ceux qui, pour atteindre la mare et se reproduire à la saison des amours, ne traversent pas les routes au risque de se faire écraser par des voitures mais qui cherchent un autre moyen, en l’occurrence les petits tunnels créés pour eux, par les humains. Ces crapauds qui sortent de leur routine ancestrale sont l’image des innovateurs de la métamorphose. Thanh Nghiem les repère dans le monde.  Le crapaud fou, c’est le déviant qui sauve l’espèce et fait prendre conscience des dangers qui menacent.

Un exemple de crapaud fou qui agit sur le terrain, c’est David Li. Il a eu l’idée d’étudier ce qui se passe à Shenzhen dans la rue où l’innovation se développe pour et par les gens. Il postule qu’on peut ouvrir la production de l’Internet. Les équipes de David Li ont ainsi créé un robot qui désherbe tout seul. Son intelligence artificielle est capable de détecter les bonnes et les mauvaises herbes. Pour une production biologique, cela permet à l’humain de ne pas se casser le dos. En créant une plateforme, Shenzhen Open Innovation Laboratoire, il permet à tous de prototyper n’importe quel objet : des smartphones, des drones, des véhicules électriques, etc. En France, Wiko est devenu le deuxième plus gros fabricant de téléphones en moins d’un an grâce à ce système. David Li est le Robin des bois des temps modernes qui veut œuvrer pour l’intérêt des tous avec le principe des « Goods for good ».

 

Réinventer la façon de faire société autour d’un projet de lutte contre l’exclusion et la pauvreté.

En septembre dernier, l’association « Convergences » a réunit à Paris 5 000 personnes de la société civile pour imaginer des solutions nouvelles contre la précarité et la pauvreté. Autour du thème « faire société demain, faire demain » les participants ont travaillé sur 5 thèmes repris des objectifs de développement durable adoptés par l’ONU : la bonne santé et le bien-être, l’éducation de qualité, le travail décent et croissance économique, les villes et les communautés durables, les partenariats pour la réalisation des objectifs. Pendant deux jours se sont rencontrés des acteurs du secteur public, du monde de l’entreprise, des médias, et de la société civile. Outre le très grand succès de la manifestation, il faut noter la présence de nombreuses institutions venues chercher de l’inspiration sur ces grands thèmes autant que soutenir l’initiative. Cela confirme que la métamorphose est en train de gagner l’ensemble des organisations.

 

Le tissu social de proximité se renforce, un signe supplémentaire que la métamorphose passe par l’enrichissement du « collectif »

Cyria Emelianoff est professeur assistante à l’Université du Mans sur les « capabilités collectives ». Les « capabilités » sont les capacités/compétences collectives.

Dans une perspective de transition citoyenne et de transformation concrète de l’environnement, elle constate que le voisinage devient une ressource. Comme Pierre Giorgini, elle met en avant le concept de campus élargi qui serait ancré dans le territoire et contribuerait à casser les silos.

D’après elle, les étapes à franchir sont les suivantes :

  • Rendre les parois perméables,
  • Permettre un flux à circulation libre, une horizontalité,
  • Encourager la cohabitation avec le vivant,
  • Promouvoir les valeurs d’accueil d’hospitalité, d’ouverture, du « vivre ensemble » en paix,
  • Favoriser la coopération, et construire des capabilités d’alliances entre collectifs,
  • Tenir le cap de la transition ce qui n’est pas une finalité en soi mais bien une condition de survie.

Ce qui est particulièrement intéressant ici, du point de vue la « métamorphose », c’est le réarrangement du collectif dans une perspective qui casse les anciens schémas relationnels, permet de démultiplier les efforts de chacun par la complémentarité, ouvre des perspectives de solutions nouvelles. C’est une étape plus loin que l’organisation de la manifestation organisée par « Convergences ».

 

La ville métamorphosée grâce aux réseaux

Conscientes du rôle qu’elles ont à jouer dans les transformations du monde, sous la pression conjuguée des progrès de l’économie digitale et de la pression climatique et environnementale, les villes créent des alliances, au-delà des États, sur de multiples thèmes : le climat, la résilience, les smart cities, le patrimoine, les monnaies locales ou même les villes apprenantes. Ilya Prigogine disait que : « les villes sont l’exemple même d’un système complexe dissipatif ».

En parallèle, à l’échelle locale, les initiatives se multiplient autour de la production agricole biologique, de l’éducation alternative, des transports partagés…, montrant la maturité d’une société prête à accueillir la métamorphose.

Dernière analyse en date du phénomène des tiers-lieux en France : le rapport très complet, « Faire ensemble pour mieux vivre ensemble » récemment remis par Patrick Levy-Waitz à Julien Denormandie, le Secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des territoires, qui démontre la diversité des initiatives locales à travers l’ensemble du territoire national.

Des lieux qui répondent aux attentes de coopération, de mobilité, de créativité et de singularité qui traversent notre société.
La ville métamorphosée, c’est déjà aujourd’hui !

 

Ramener la vie dans les territoires fragilisés

Dans les années 70, alors qu’ils entreprennent la réhabilitation d’un hameau en ruines dans les gorges de l’Ardèche avec des chantiers de jeunes, Gérard et Béatrice Barras découvrent par hasard une filature de laines dont le toit s’écroule dans une vallée perdue à une heure de là. Confiants dans les capacités d’une action collective, et motivés pour agir sur le développement de ce territoire rural abandonné, ils mobilisent une équipe de jeunes en leur proposant d’expérimenter la coopération dans un but de développement économique local.

Il ne s’agira pas de faire un musée ni même une filature, mais de restructurer une filière locale afin de valoriser les laines qui sont jetées en générant quelques emplois. La SCOP Ardelaine est créée en 1982. Tonte des moutons, transformation de la laine en articles de literie, commercialisation en circuit court, la coopérative se développe et crée de nouveaux emplois chaque année.

En 1986, elle installe un atelier de tricotage et confection de vêtements dans un quartier sensible de la ville de Valence. Les coopérateurs sont alors au défi de transposer leur approche du développement local rural à une zone urbaine sur-densifiée. Deux hectares de jardins partagés en pied d’immeuble, en seront les fruits les plus visibles. Pour renforcer son ancrage territorial les activités s’élargissent au tourisme et à la culture. Un, puis deux, parcours muséographiques verront le jour, drainant 20 000 visiteurs par an sur ce site historique. La coopérative, qui se définit alors comme une « Coopérative de territoire », poursuivra son développement en diversifiant ses activités jusqu’au domaine alimentaire de proximité. Un restaurant, une conserverie ouverte à tous les usagers du territoire, verront le jour en 2010, ainsi qu’un café-librairie ouvert toute l’année. Aujourd’hui Ardelaine compte 54 salariés et est labellisée par l’État « Entreprise du Patrimoine Vivant ».

LA DÉCLARATION DE MONTRÉAL EN FAVEUR D’UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE RESPONSABLE

C’est le premier fruit d’une démarche très intéressante avec des délibérations citoyennes et une co-construction avec différentes parties-prenantes :
la déclaration de Montréal pour le développement responsable de l’IA.

Les points clés du bilan des consultations citoyennes s’articulent autour de sept thèmes, chacun avec ses questions indicatives et un principe recommandé dans la version préliminaire de la déclaration.

Les principes proposés :

  • Bien-être : Le développement de l’IA devrait ultimement viser le bien-être.
  • Autonomie : Le développement de l’IA devrait favoriser l’autonomie de tous les êtres humains et contrôler, de manière responsable, celle des systèmes informatiques.
  • Justice : Le développement de l’IA devrait viser à éliminer les discriminations, notamment celles liées au genre, à l’âge, aux capacités mentales et physiques, à l’orientation sexuelle, aux origines ethniques et sociales et aux croyances religieuses.
  • Vie Privée : Le développement de l’IA devrait permettre aux personnes qui l’utilisent d’accéder à leurs données personnelles ainsi qu’aux types d’informations que mobilise un algorithme.
  • Connaissance : Le développement de l’IA devrait promouvoir la pensée critique et nous prémunir contre la propagande et la manipulation.
  • Démocratie : Le développement de l’IA devrait favoriser la participation éclairée à la vie publique, la coopération et le débat démocratique.
  • Responsabilité : Les différents acteurs du développement de l’IA devraient assumer leur responsabilité en œuvrant contre les risques de ces innovations technologiques.