La métamorphose des organisations vivantes @ Irène Dupoux-Couturier & Caroline Gerber # Colloque EMCC 2018

Colloque EMCC France 2018 – éloge de la métamorphose

A la suite de l’interview de l’un des plus grands socio-anthropologues français contemporain, Alain de Vulpian, ses consoeurs Irène Dupoux-Couturier et Caroline Gerber évoquent les métamorphoses sociétales du 20e siècle, les enjeux de la socio-perception et du rôle croissant des émotions dans nos sociétés.

Gouvernance publique, esprit start-up et métamorphose @ Irène Dupoux-Couturier

Tribune Libre de l’Opinion # 10 avril 2017

Associer ces trois mots semble une gageure. Et pourtant c’est le pari que SoL France, la Société pour l’organisation apprenante et le think-tank Synopia ont pris devant une centaine de fonctionnaires et de cadres d’entreprises. Comment marier les mots apprenance et gouvernance publique ? Comment insuffler l’esprit start-up au monde politique ? Le pari était moins grand qu’il ne paraissait.

Tant au niveau étatique qu’au niveau régional et local, des « histoires apprenantes » ont montré sur le terrain la profonde métamorphose de notre société (1) : la démarche inclusive de la COP21 puisant une partie de son énergie dans la rencontre avec la société civile était reprise par des expériences vivantes de quartiers et de villes, Humanicité à Lille ou Kingersheim en Alsace par exemple (2), par des recherches innovatives d’entreprises, par des expériences administratives dans le Val-d’Oise, le concept de « delivery unit », la création du chèque emploi-service…

Pas de hiérarchie. L’esprit start-up était présent : pas de hiérarchie, laisser monter les innovations de la base, agir en transdisciplinarité, faire confiance, responsabiliser. De ces défis quotidiens, de ces expériences venant de toute la France, une prise de conscience personnelle et une vision partagée sont nées qui étaient les mêmes dans les cercles de l’administration, des entreprises, ou des associations. Comment créer la dynamique, permettre au fonctionnaire d’être acteur de bien-être et de progrès. Des mots-clés sont apparus qui résonnent comme un appel au monde politique traditionnel.

La démarche en intelligence collective a permis et permet de faire éclater ces mots comme un feu d’artifice à travers le pays. Des mots fondateurs, et des mots de l’action : des accélérateurs, des boosters de la gouvernance de demain. Quatre postures fondatrices : humanisme et personnalisme, recherche du bien commun, écoute, discernement. Dix voies pour l’action : gouvernance catalytique, participation, hybridation, auto-organisation, inclusion, rôle du féminin, stratégie tâtonnante, expérimenter, passer du ou au et, laisser du temps au temps.

Derrière ces mots, il y a du savoir-être, du savoir-faire, de l’énergie : un gouvernant catalyseur, c’est celui qui laisse monter les innovations et met la cohérence. Participation : les personnes-citoyennes ne veulent plus être représentées, elles veulent être partie prenante dans les prises d’orientation. Hybridation est un des mots-clés de la métamorphose, des collectifs inattendus alliant, souvent localement, des pouvoirs publics, des entreprises, des associations, surgissent partout, ils créent des « tiers lieux » (3) d’où l’innovation jaillit. Etre stratège et tâtonner est un oxymore, c’est savoir créer une vision partagée et chercher comment la mettre en œuvre.

C’est la France positive, c’est, il faut l’espérer, la France de demain. Que les politiques l’entendent !

Irène Dupoux-Couturier est vice-présidente de SoL France.

(1) : Alain de Vulpian, Eloge de la métamorphose, en marche vers une nouvelle humanité
(2) : Joseph Spiegel, Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux, Temps Présent, 2017
(3) : Pierre Giorgini, Le crépuscule des lieux, Bayard 2016

Plaidoyer en faveur d’une «économie de marché responsable» @ Le Monde

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Quinze personnalités, parmi lesquelles Christine Lagarde, Martin Hirsch et Pascal Lamy, estiment qu’il est essentiel de rompre avec le capitalisme financier fondé sur une maximisation folle du profit. Des hauts responsables militent pour que la France, et notamment ses entreprises, fasse le choix d’une croissance raisonnée

Le consensus est de plus en plus fort : la financiarisation du capitalisme est une erreur. Ce consensus, appuyé par les efforts toujours plus nombreux de différents acteurs du monde de l’entreprise et de l’investissement, ne suffit pas à garantir la mutation nécessaire. Nous sommes persuadés que l’opportunité se présente pour la France de jouer un rôle décisif dans le développement d’une économie de marché responsable.

La poursuite excessive d’une finalité exclusive – maximiser les profits pour les actionnaires – a isolé l’entreprise et nourri la suspicion à son égard. Milton Friedman, dans un article célèbre, a écrit que l’entreprise a pour seule responsabilité d’accroître son profit. Cette affirmation, qui repose aussi sur l’idée fausse qu’une entreprise appartient à ses actionnaires et que ceux-ci recherchent avant tout leur intérêt financier à court terme, est aussi vivement combattue aux Etats-Unis. La société (SA, SAS, SARL…) est un véhicule juridique qui permet la réalisation du projet d’entreprise. Celle-ci, conduite sur le long terme, requiert une attention aux différentes parties prenantes de l’entreprise : actionnaires, collaborateurs, créanciers, fournisseurs, clients, communautés affectées par son activité et même générations futures. C’est là l’intérêt réel de l’actionnaire. Nos sociétés contemporaines attendent de l’entreprise qu’elle joue un rôle prépondérant dans la recherche d’une croissance raisonnée, génératrice de bien-être et de progrès. Elles souhaitent en particulier que l’action des entreprises ait un effet positif sur les défis auxquels elles sont confrontées : bouleversement climatique, épuisement progressif de la biodiversité et de certaines ressources naturelles, explosion démographique, montée des inégalités et des discriminations, domination des marchés financiers et leur impact négatif sur l’affectio societatis, ou encore malaise au travail.

Modifier deux articles du code civil

Une activité guidée par la maximisation de l’intérêt à court terme de l’actionnaire n’est sûrement pas le meilleur moyen de répondre à ces préoccupations légitimes. Privilégier constamment un intérêt particulier isole l’entreprise de son écosystème, amène les dirigeants à dissocier les motifs des conséquences de leurs décisions et plonge les acteurs économiques dans le court terme tant décrié depuis la crise de 2008. Intégrer la dimension sociale au cœur de ses décisions lui permettra de regagner la confiance dont elle a besoin pour prospérer à long terme.

Les articles de référence du code civil, à savoir 1 832 et 1 833, disposent que la société est constituée dans l’intérêt des associés et en vue de partager le bénéfice. Ils ne mentionnent ni n’évoquent le projet d’entreprise – c’est-à-dire ce pour quoi les associés fondent une entreprise – ni les parties prenantes. Si ces dispositions constituaient un progrès important lors de leur adoption il y a plus de deux siècles, il n’est pas choquant de devoir les adapter à notre monde actuel. Plutôt que de proposer de nouvelles structures juridiques comme le font certains pays qui prévoient l’ajout à la finalité lucrative d’autres finalités qui ne le sont pas – par exemple, Public Benefit Corporation et Multi Purpose Company aux Etats-Unis – et de compliquer encore notre droit des sociétés, nous proposons de mettre la responsabilité sociale de l’entreprise au centre de ses documents constitutifs. La personnalité morale qu’elle acquiert lors de sa constitution reflétera ainsi la prise en compte de son écosystème ; c’est d’autant plus légitime qu’elle en bénéficie chaque jour dans l’exercice de son activité et la réalisation de ses profits.

Nous demandons que les articles du code civil précités soient modifiés pour faciliter le développement, d’une économie de marché responsable et inclusive. L’article  1832 devrait être rédigé dans l’esprit de cette proposition :  » La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent d’affecter des actifs, sous la forme d’apports en numéraire, en nature ou en industrie, à une entreprise commune en vue de développer un projet d’entreprise et de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie susceptible d’en résulter. « 

De même, l’article  1833 pourrait être modifié comme suit :  » Toute société doit avoir un projet d’entreprise licite et être gérée dans l’intérêt commun des associés et des tiers prenant part, en qualité de salariés, de collaborateurs, de donneurs de crédit, de fournisseurs, de clients ou autrement, au développement de l’entreprise qui doit être réalisé dans des conditions compatibles avec l’accroissement ou la préservation des biens communs. « 

Il s’agit de permettre à l’actionnaire, grâce aux prérogatives attachées à sa qualité, de clarifier les conditions de sa contribution à la mise en œuvre du projet d’entreprise. C’est tout le contraire d’un retour vers le capitalisme managérial – c’est-à-dire d’une appropriation du pouvoir par les dirigeants – qui avait d’ailleurs contribué à l’émergence du capitalisme financier.

La France a été pionnière au XIXe  siècle dans le développement de l’économie sociale. Elle peut aujourd’hui reprendre un rôle d’initiateur mais cette fois-ci dans le développement d’une économie de marché responsable, où épargne et investissement participent à la restauration du lien social, contribuant au débat sur les plans européen et mondial.

Les signataires de l’article

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